Nouvelles de FPC Onze tendances lourdes pour la philanthropie en 2020 : Comparaison entre les pratiques étatsuniennes et canadiennes Jean-Marc Mangin Mar 16, 2020 9 min read Nouvelles et perspectives Nouvelles de FPC Onze tendances lourdes pour la philanthropie en 2020 : Comparaison entre les pratiques étatsuniennes et canadiennes Le centre américain de recherche appliquée sur la philanthropie, le Dorothy Johnson Centre for Philanthropy, situé à Grand Valley State University, vient de publier une nouvelle édition de son rapport annuel sur les tendances lourdes qui secouent notre secteur. Bien que ce Centre détienne une excellente réputation, l’analyse développée peut difficilement être généralisée ailleurs sur le continent. Le point de vue présenté peut difficilement échapper à son contexte culturel et à son cadre socioéconomique. Le contexte étatsunien constitue la toile de fond pour l’analyse présentée par l’équipe de chercheurs. Prendre en considération les tendances lourdes identifiées nous demande une mise en garde à l’effet que le contexte philanthropique étatsunien, bien que proche sur certains aspects du contexte institutionnel canadien, n’en demeure pas moins très différent. Tant par leur histoire, leur démographie, leur rôle et fonction vis-à-vis de l’État et de la société civile, il s’agit d’autant de points où des démarcations sont observables. Enfin, les activités politiques partisanes de plusieurs philanthropes ploutocrates retrouvent peu d’échos au Canada. Néanmoins, comme dans bien des domaines, les questions, les débats et les pratiques de la philanthropie étatsunienne influencent profondément la réflexion et les conversations sur la philanthropie canadienne, européenne ou australienne – pour le meilleur et pour le pire. Nous nous proposons donc de revisiter les onze tendances lourdes identifiées par l’équipe de chercheurs du Dorothy Johnson Center afin de voir comment elles s’appliquent ou non à la réalité des fondations privées, publiques, communautaires, corporatives ou parallèles canadiennes. Critiques croissantes de la (grande) philanthropie : le Canada ne compte qu’une fondation de taille comparable aux énormes fondations américaines, la Fondation MasterCard. Malgré nos différences profondes, les critiques de nos voisins du sud sur la méga-philanthropie sont souvent reprises au Canada, de façon presque automatique, comme l’a fait récemment Anand Giridharadas à Toronto (Winners take all). Plusieurs des pratiques philanthropiques étatsuniennes ne sont pas présentes en sol canadien : certaines sont proscrites par le cadre réglementaire. Il demeure que plusieurs des questions soulevées par le Centre Dorothy Johnson sont légitimes. Questionner les privilèges, les biais et les façons de travailler représentent des réflexes qui devraient s’installer dans toute pratique philanthropique qui entend contribuer au développement du bien commun. Mais, avant de transposer les critiques de la méga-philanthropie étatsunienne au Canada, il importe de présenter une analyse de la réalité et des pratiques observables. Notons à cet égard le travail du collectif des fondations contre les inégalités, notamment sur les questions concernant la fiscalité. Outils d’analyse de l’équité : les États-Unis n’ont toujours pas résolu les grandes questions sociétales que représentent les inégalités, les injustices sociales ou le racisme systémique auxquelles sont confronté de nombreux citoyens et citoyennes afro-américain.e.s. Au Canada, ce sont principalement les nations autochtones qui sont marginalisées malgré les engagements politiques qui ont fait suite à la Commission de vérité et réconciliation. Sur ces enjeux sociétaux, notons l’apport positif de la démarche des signes vitaux, développée par le réseau canadien des fondations communautaires. Cette innovation, dans les pratiques canadiennes, a attiré l’attention de nombreuses fondations non communautaires afin de mieux comprendre l’ampleur des défis à relever dans le but de proposer des réponses permettant de mobiliser une diversité d’acteurs. Collaboration et consolidation de l’infrastructure de la philanthropie : les organisations philanthropiques structurantes, telles que Fondations philanthropiques Canada, sont peu nombreuses et de petite taille au Canada. Les caractéristiques de l’écosystème des fondations étatsuniennes font en sort que leur nombre permet l’existence d’une diversité d’organisations support à la philanthropie en fonction de la taille, des programmes mis de l’avant ou des divisions idéologiques présentes au sein de ce secteur. Il est d’ailleurs souvent difficile de s’y retrouver. Sur ce point, une consolidation de leur écosystème serait souhaitable. Au Canada, nous n’avons d’autre choix que de collaborer pour mieux servir nos membres et développer une philanthropie plus engagée et mieux ancrée dans les milieux d’attache. Les sciences des données pour l’impact scientifique : cette dimension représente un enjeu d’importance pour la philanthropie et la société civile canadiennes. Nous en sommes, au Canada, aux premiers balbutiements visant à penser et à mettre en œuvre tant une stratégie que l’infrastructure support en matière de gestion des données (le fameux Big Data). Concernant ce point, nous sommes en retard sur nos voisins du sud. Il nous faut développer de meilleurs liens avec les centres de recherche existants sur l’intelligence artificielle, avec les chercheurs universitaires spécialisés dans le domaine, avec la Fondation canadienne pour l’innovation, sans oublier l’infrastructure de recherche numérique que le gouvernement canadien vient de créer. Les milléniaux dans le secteur non lucratif : les défis de la diversité, de l’inclusion et de l’équité sont bien réels au Canada notamment au niveau des postes supérieurs dans les organisations philanthropiques. Néanmoins, les dynamiques du secteur et les lois de travail qui nous régissent sont, encore une fois, fort différentes de celles des États-Unis. L’Ontario Not-For-Profit Network (ONN) a accompli un travail remarquable au niveau des consultations, de l’analyse de la situation et du développement de plaidoyers pour conscientiser les membres du secteur sur les défis qui se posent à ce niveau. Une attention accrue aux objectifs de développement durable : les objectifs de développement durable (ODD) offrent des cibles et surtout un langage universel qui pourraient susciter une meilleure collaboration et faciliter l’exercice d’évaluation de l’impact collectif des fondations et du secteur philanthropique. Cependant, comme aux États-Unis, rares sont les fondations canadiennes qui ont adopté les ODD comme cadre opérationnel de référence. Nous devrons mousser l’intérêt des dirigeants et du personnel de ces organisations en matière d’ODD et développer des plateformes collaboratives avec d’autres organisations de la société civile et avec les trois paliers de gouvernements. Il reste beaucoup à accomplir et nous n’avons qu’une décennie pour le faire. Argent sale et donateurs corrompus : le Canada, jusqu’à maintenant, a peu connu de scandales au sein du monde philanthropique, comme c’est le cas aux États-Unis. Néanmoins, un scepticisme et des questionnements se font de plus en plus entendre concernant certaines pratiques de donataires. Le travail important de l’Agence de revenu du Canada, pour s’assurer que le cadre réglementaire soit respecté par les donateurs et les organismes de bienfaisance, est essentiel pour conserver la confiance de la population pour un régime de philanthropie privée et pluraliste qui est fortement supporté par la fiscalité. Croissance inclusive : la croissance rapide des inégalités constitue un défi incontournable au Canada, car elle affecte la qualité de notre tissu social. Néanmoins, le filet de sécurité sociale demeure beaucoup plus fort et universel au Canada qu’aux États-Unis. Dans ce pays, le rôle central de l’État est mis à mal par une partie importante de l’opinion publique. Ce n’est pas le cas au Canada. Alternatives à la philanthropie stratégique : la philanthropie participative est fondée sur les relations de confiance, lesquelles trouvent une terre fertile au Canada : du moins au plan conceptuel. La pratique de cette philanthropie plus ouverte et d’accompagnement demeure un chantier à consolider. Les fondations canadiennes peuvent apprendre de certaines fondations étatsuniennes (et vice versa). Nous avons aussi, ici, quelques pratiques émergentes qui méritent d’être mieux partagées. Responsabilité sociale des entreprises : comme aux États-Unis, plusieurs compagnies canadiennes acceptent d’appuyer les pratiques de responsabilité sociale de leurs employé.e.s et de leurs partenaires au profit des communautés où elles sont implantées. Le président de Maple Leaf Foods, Michael McCain, est un des champions les plus représentatif de cette approche. Le nombre d’entreprises canadiennes dotées de fondations et de programmes de responsabilisation des employé.e.s est en pleine croissance. Ce qui n’est pas sans susciter une forme de scepticisme au sein d’une partie de la population qui questionne le manque de cohérence entre l’alignement présenté dans le discours et l’action des entreprises. La philanthropie en première ligne du changement climatique : un nombre croissant de fondations voient dans les changements climatiques la manifestation d’une crise profonde, laquelle n’est pas sans avoir un impact négatif sur les programmes qu’elles supportent. Elles sont donc à la recherche d’outils pour mieux accompagner leurs partenaires afin de renforcer la « résilience climatique ». Plusieurs fondations réfléchissent également à la façon d’utiliser leurs actifs pour supporter la transition vers une économie plus verte neutre en carbone. Les approches varient beaucoup : certaines fondations sont prêtes à supporter des mouvements sociaux ; d’autres préfèrent travailler avec des organismes d’experts pour promouvoir de nouvelles politiques publiques en misant sur la dissémination de nouvelles technologies vertes. Les perspectives sur les changements climatiques divisent profondément les canadiens et canadiennes. Ces divisions ne sont pas absentes dans le monde philanthropique canadien, mais la majorité des fondations accepte que la question de la transition représente une donnée incontournable. Un leader d’une large fondation privée étatsunienne, en visite récemment à Montréal, fut frappé par ce constat. Il notait que le monde philanthropique étatsunien a du rattrapage à faire sur ce point. Entretemps la crise climatique planétaire continue de croître et le sentiment d’urgence fait de plus en plus consensus. Le rapport du Dorothy Johnson Centre for Philanthropy est utile comme document de réflexion pour alimenter les pratiques et établir des priorités pour la philanthropie étatsunienne. Plusieurs des tendances identifiées dans ce rapport sont pertinentes pour le monde philanthropique canadien. Cependant il ne faut oublier de les adapter à notre contexte — et surtout, il importe de mieux comprendre et de mieux partager nos propres pratiques. Cela est absolument nécessaire pour répondre aux défis qui se posent et aux opportunités qui se présentent. Partager cet article Facebook Twitter LinkedIn Email
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