Nouvelles de FPC Philanthropie et crises : Réflexions dans le cadre de la conférence d’ERNOP 2023 Laetitia Gill & Dr. Michele Fugiel Gartner Juil 24, 2023 10 min read Nouvelles et perspectives Nouvelles de FPC Philanthropie et crises : Réflexions dans le cadre de la conférence d’ERNOP 2023 Le Réseau européen de recherche sur la philanthropie (« European Research Network on Philanthropy » ou ERNOP) a tenu sa 11e conférence à Zagreb, en Croatie, les 29 et 30 juin 2023. Le thème de la conférence portait sur la philanthropie et les crises, notamment sur les rôles et le fonctionnement de la philanthropie en période de bouleversements sociétaux. Laetitia Gill et Michele Fugiel Gartner, membres du personnel de FPC, y étaient présentes pour animer des séances et présenter leurs recherches. La philanthropie est un phénomène mondial, bien que ses manifestations soient nuancées par la culture et le contexte. Même si la conférence s’est concentrée sur l’Europe centrale et orientale, ses grands thèmes sont importants pour les fondations et les praticiens canadiens. Nous en présentons trois dans ce qui suit. 1) Cultiver des espaces sûrs Dans un contexte de crises multiples ou permanentes, où les crises se succèdent les unes après les autres, il est plus que jamais nécessaire de combler les lacunes en matière de connaissances et de relations entre les universitaires et les acteurs de terrain. L’ERNOP a récemment concentré ses efforts sur ces objectifs par le biais de ses notes de recherche (en anglais), une synthèse de deux pages de la recherche universitaire réalisée par des praticiens chevronnés. De même, la journée de préconférence, « ERNOP Safe Spaces » (en anglais), a permis de réunir des universitaires et des praticiens afin de préparer un document et animer une conversation sur cinq thèmes urgents en matière de philanthropie : la diversité, le leadership et la gouvernance, la communauté, l’impact et le plaidoyer. Les discussions ont permis de dégager des perspectives culturelles, contextuelles et d’identité uniques. Par ailleurs, le Journal of Philanthropy and Marketing (en anglais) publiera ces articles et les commentaires des personnes interrogées afin de poursuivre le dialogue, de mettre en évidence les connaissances acquises collectivement et d’établir des ponts entre les différents points de vue. Ces espaces sûrs offraient aux praticiens un lieu d’apprentissage par les pairs leur permettant d’échanger sur des sujets essentiels au fonctionnement des organisations philanthropiques, mais qui sont souvent source de frictions et de frustrations. Les praticiens ont pu bénéficier de réflexions théoriques sur ces questions afin de mieux comprendre les processus et les possibilités de surmonter ces frictions, de se tenir au courant des recherches les plus récentes et de relier leur pratique quotidienne et leur réflexion stratégique aux conclusions de la recherche. Pour les universitaires, c’était l’occasion d’engager des conversations de fond sur des questions importantes pour les professionnels de la philanthropie et d’intégrer la rétroaction dans leurs travaux. Conformément aux règles de Chatham House, les discussions ont permis de partager des connaissances et d’ouvrir de nouvelles avenues vers des recherches et des collaborations novatrices. Par exemple, dans l’espace sûr de la diversité, de l’équité et de l’inclusion, les participants ont examiné le rôle de la philanthropie dans la promotion de la diversité, tant en interne qu’en externe. Faut-il en faire une priorité pour les organisations philanthropiques et, dans l’affirmative, pourquoi et comment ? Les fondations, leur personnel et les membres de leur conseil d’administration ont-ils une responsabilité particulière dans la promotion de la diversité afin de créer des sociétés plus inclusives et égalitaires ? 2) Une infrastructure en pleine expansion favorise la capacité à collaborer et à réagir Comment la société civile s’assure-t-elle de pouvoir surmonter les crises ? Cette question a été posée lors de chaque séance plénière, en proposant des points de vue théoriques et contextuels européens. Un sentiment commun s’est dégagé : le développement de l’infrastructure philanthropique, et même de la bureaucratie, est essentiel pour s’assurer que les organisations sont suffisamment résilientes pour faire face aux crises. D’ailleurs, les crises liées à la COVID-19, aux catastrophes naturelles et à la guerre en Ukraine sont survenues l’une après l’autre, à un an d’intervalle. Pour illustrer cette idée, Michael Meyer, de l’Institute for Nonprofit Management de l’Université de Vienne (WU), a expliqué que « la structure mange la stratégie au petit-déjeuner » et a ajouté, pour faire l’éloge de la bureaucratie, que ce n’est que si l’on a des règles que l’on peut les assouplir lorsque c’est nécessaire. La résilience du secteur à but non lucratif dans plusieurs pays d’Europe de l’Est reposait sur la capacité des décennies précédentes à investir dans le soutien à la société civile. Si les organisations ont dû ajuster leurs approches en temps de crise, elles ont pu le faire parce que des systèmes, tels que la communication, le financement et la gestion, étaient déjà en place. 3) La recherche universitaire pour comprendre les phénomènes de terrain Pour faire face aux bouleversements et aux crises de la société, le secteur philanthropique agit rapidement. Parfois, il le fait trop rapidement, au point de ne pas être en mesure de pleinement analyser et mettre en évidence les approches qu’il suggère et adopte. Il faut des années pour comprendre, appliquer et étudier des termes tels que philanthropie stratégique, philanthrocapitalisme et don engagé. La recherche en milieu universitaire, quant à elle, évolue à un rythme différent. Certains critiques disent qu’elle est trop lente, mais sa capacité conceptuelle peut apporter des éclaircissements d’une ampleur et d’une profondeur que le quotidien des praticiens ne permet pas. La recherche peut étayer la connaissance des concepts émergents et des événements actuels. À la conférence d’ERNOP, des recherches émergentes ont été présentées sur des idées telles que le « changement de systèmes », en revenant sur les recherches initiales sur les « systèmes » et « l’effet de levier » pour comprendre les obstacles à l’adoption de cette approche par les bailleurs de fonds philanthropiques. Si le changement de systèmes est une question d’effet de levier, pourquoi les subventions d’une durée d’un à trois ans sont-elles incompatibles ? Le domaine a-t-il intégré des normes de financement sans restriction dans les approches de changement de système ? Faut-il qu’il en soit toujours ainsi ?Dans un autre exemple, des chercheurs ont tenté de comprendre les impacts de la guerre russe en Ukraine sur le secteur à but non lucratif et les bénévoles. Rédigé par des Ukrainiens et des chercheurs de l’Université de Genève, l’article a recueilli l’avis des participants afin de cerner les questions les plus urgentes pour les bénévoles ukrainiens et les organisations à but non lucratif sous le régime de la loi martiale. La recherche souligne l’importance de soutenir le secteur à but non lucratif et de faciliter les dons philanthropiques en temps de guerre. Elle décrit les effets de la loi martiale sur les bénévoles et les organisations nationales à but non lucratif en Ukraine.La recherche peut également se pencher sur la connaissance opérationnelle des organisations philanthropiques. Une recherche a exploré les stratégies d’investissement des fondations au Royaume-Uni, en Suède et en Russie. À l’aide d’informations publiques, les chercheurs ont essayé de définir les normes dominantes des stratégies d’investissement. Lorsque les marchés sont positifs, les fonds de dotation dépensent-ils davantage ? Épargnent-ils pour les mauvais jours lorsque les marchés sont négatifs ? Conserveraient-ils des actifs, c’est-à-dire qu’ils dépenseraient le même montant en période négative, mais ne dépenseraient pas plus en période positive, ce qui donnerait un montant net positif pour leurs fondations ? Un contingent de versements a-t-il un impact sur ces décisions ? Enfin, bien que la responsabilisation soit un sujet toujours d’actualité dans le secteur philanthropique, il subsiste une certaine ambiguïté quant à savoir qui dirige le discours, qui prend les décisions et comment celles-ci sont mises en œuvre. Ainsi, les approches de la responsabilisation philanthropique varient selon les individus et les institutions. Une nouvelle étude empirique s’est penchée sur les approches des personnes fortunées pour comprendre la responsabilisation dans leurs dons et a démontré une sensibilisation à la responsabilisation pour les organisations caritatives, mais moins pour elles-mêmes. Dans un contexte philanthropique institutionnel, le rôle du PDG a également un impact sur la manière dont la responsabilisation est comprise et mise en œuvre, mais la recherche sur les rôles des fondations reste peu développée. Les individus et les institutions ont des normes différentes pour comprendre la responsabilisation, ce qui entraîne les variations que nous observons sur le terrain. Le meilleur article Le prix du meilleur article de la conférence d’ERNOP 2023 a été décerné à Malgorzata Smulowitz (IMD), Peter Vogel (IMD) et Alfredo de Massis (IMD) pour leur article intitulé « What leads to impactful family philanthropy? Family incubation as a missing link » (Qu’est-ce qui conduit à une philanthropie familiale efficace ? L’incubation familiale comme chaînon manquant). Grâce à des études de cas approfondies de dix familles d’entrepreneurs, les auteurs présentent un cadre théorique expliquant comment ces familles réussissent à mener à bien leurs activités philanthropiques. L’article a relevé un modèle de processus de philanthropie familiale, en introduisant un nouveau concept d’incubation familiale. Dans l’ensemble, l’article s’inscrit dans la documentation sur la philanthropie contemporaine, la recherche sur les entreprises familiales et l’entrepreneuriat, en mettant en évidence le rôle central de l’incubation familiale dans la philanthropie familiale et en éclairant l’évolution dynamique de cette dernière. Dernières réflexions Les théories et les concepts déterminent la façon dont nous comprenons le monde. Se réunir pour découvrir de nouvelles recherches et leur mise au point démontre que la création de connaissances est un effort créatif. La philanthropie est un domaine qui exige de ses chercheurs qu’ils sortent de leur tour d’ivoire et qu’ils s’impliquent sur le terrain pour comprendre ce qui se passe réellement. En période de crise, cette approche est plus importante que jamais. Les conférences telles que celle d’ERNOP font partie de l’infrastructure essentielle, rendant le domaine philanthropique plus résilient à mesure que la recherche traverse les cultures, les contextes et les prises de position. Elles offrent un espace où l’on peut être d’accord et en désaccord et, surtout, où l’on peut poser des questions. La philanthropie se manifeste de multiples façons et est animée par une grande variété de valeurs. Si l’on adopte une approche plurielle de la philanthropie, la recherche devient la clé pour comprendre les valeurs qui sous-tendent les activités, évaluer la justesse de ces valeurs et envisager la combinaison des valeurs qui créent le secteur philanthropique d’aujourd’hui. Partager cet article Facebook Twitter LinkedIn Email
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