Blogue invités Éblouissantes, puissantes, déficientes : étude sur la portée des données sur l’octroi de subventions à des fins philanthropiques au Canada Michele Fugiel Gartner Blogue invités 15 mins read 13 Déc 2024 Nouvelles et perspectives Blogue invités Éblouissantes, puissantes, déficientes : étude sur la portée des données sur l’octroi de subventions à des fins philanthropiques au Canada Cet article donne un aperçu des constats résultants du projet de recherche né du partenariat entre le programme de Master of Philanthropy and Nonprofit Leadership (MPNL) 2024 de l’université Carleton et Fondations Philanthropiques Canada. Pour obtenir le rapport complet ou communiquer avec les chercheures, veuillez contacter la Dre Michele Fugiel Gartner Chercheures: Anna Hamilton, Jing Jia, Michelle Murphy et Tara Russell Sommaire La collecte, l’interprétation et l’utilisation des données sur l’octroi de subventions aux organismes philanthropiques au Canada présentent des lacunes cruciales. Il ne fait aucun doute que les acteurs du milieu philanthropique souhaitent modifier la stratégie qui sous-tend leurs investissements, ce qui les incite à mieux connaître les types d’activités caritatives financées (quoi), le profil démographique des organismes soutenus (qui) et le lieu de ces activités (où). L’amélioration de l’accès aux données, de leur interprétation et des outils disponibles pourrait considérablement accroître la productivité, l’équité et le bien-être au sein du secteuriiiiii. Au cours des trois derniers mois, notre équipe de recherche – composée de quatre étudiantes diplômées de l’Université Carleton – s’est plongée dans le paysage de la production de données philanthropiques au Canada. Cette recherche découle de la proposition de Fondations Philanthropiques Canada de lancer un projet visant à étudier l’étendue des données relatives à l’octroi de subventions au Canada. Notre travail fait suite au Rapport sur le paysage 2024 (FPC), qui décrit le paysage actuel des pratiques des organismes à but non lucratif. Le rapport cherche à répondre à une question : quels sont les défis liés à l’accès aux données sur les activités philanthropiques au Canada et à leur interprétation en ce qui concerne l’octroi de subventions? Notre groupe de recherche a mené 12 entretiens avec des intermédiaires, des fondations, des établissements universitaires et des cabinets de conseil, et a examiné la littérature grise et universitaire pour tenter de répondre à cette question. La littérature a permis de dégager des thématiques autour de l’accessibilité des données, de leur qualité, des défis d’interprétation, des solutions de contournement, des sources de données primaires limitées, de la collaboration et des pratiques internationales. Les entretiens ont confirmé des thématiques similaires, soulignant que le formulaire T3010 de l’Agence du revenu du Canada constitue la principale source de données du secteur, que la gestion de la qualité des données pose des défis et que les données sur le secteur des organisations à but non lucratif présentent des lacunes. En tenant compte de ces éléments, notre rapport tente de cerner les défis, plutôt que d’y répondre. Deux constats clés La littérature et les entretiens ont fait ressortir deux principaux défis en matière de données : d’une part, la qualité des données et, d’autre part, les lacunes dans les données. Le formulaire de déclaration T3010 de l’ARC L’Agence du revenu du Canada (ARC), par le biais du formulaire T3010, est la principale source de données sur les dons, recueillant et diffusant la plupart des données sur le secteur caritatif au Canada. Les données du formulaire T3010 sont utilisées pour comprendre le secteur, éclairer les décisions stratégiques et tenter d’informer et de comprendre l’impact des changements de politique. L’objectif premier des données contenues dans le formulaire T3010 n’est pas d’éclairer les décisions ni d’améliorer les décisions stratégiques, mais bien de servir à des fins réglementaires. Les défis posés par les données de la déclaration T3010 sont notamment les suivants : – la mauvaise qualité des données – l’exclusion des organisations à but non lucratif de la collecte des données – les incohérences dues à des erreurs dans les déclarations – l’impossibilité de catégoriser les destinataires des fonds – la publication tardive des données contenues dans le formulaire T3010 En raison de ces problèmes, il est difficile d’utiliser les données et d’éclairer les décisions stratégiques. Statistique Canada Le second grand pôle de production de données sur l’octroi de subventions est Statistique Canada, qui recueille et diffuse des quantités importantes de données sur la plupart des secteurs économiques canadiens. Statistique Canada ne s’est manifestement guère intéressé au secteur caritatifiv. Les données sur ce secteur sont éparpillées dans différentes enquêtes, notamment : – Compte satellite des institutions sans but lucratif et du bénévolat – Dons de charité sommaire [sic] – Enquête sur le don, le bénévolat et la participation (EDBP) – Renseignement sur les organismes sans but lucratif à l’échelle nationale, Enquête canadienne sur la situation des entreprises. Il convient de noter que le Compte satellite des institutions sans but lucratif et du bénévolat a été interrompu en 2010, puis relancé récemment en 2019. L’interruption a entraîné des lacunes dans les données, ce qui a amené les chercheurs du secteur à rassembler des informations provenant d’autres publications de Statistique Canadav. Les principaux défis relatifs à la qualité des données sont liés à la manière dont celles-ci sont recueillies, généralement du fait d’erreurs de transcription, de la structure du formulaire T3010 et d’erreurs dans les déclarations. La combinaison de ces problèmes entraîne une mauvaise qualité générale des données collectées. De plus, le paysage des données présente d’importantes lacunes. L’ARC joue un rôle important à cet égard, car elle ne collecte pas de données auprès des organisations à but non lucratif, et le formulaire T3010 ne fournit pas d’informations détaillées sur les investissements à long terme, les caractéristiques démographiques des dirigeants, les détails des programmes ou la catégorisation des fonds versés à d’autres organismes de bienfaisance.  « [Les déclarants] indiquent tout simplement des informations erronées. Ils mettent le mauvais chiffre, ils interprètent mal la question. » (P2) « L’ARC est la source de données la plus complète et elle n’a pas le mandat de diffuser ces données. » (P11) Les sources de données elles-mêmes sont difficiles d’accès, et leurs incohérences et les problèmes de qualité les rendent encore plus difficiles à interpréter. Des entreprises tierces de traitement de données, telles que Charity Data ou Connexion subvention d’Imagine Canada, ont été mentionnées comme étant de meilleurs points d’accès pour le citoyen ordinaire qui souhaite avoir un aperçu des informations financières ou autres sur les organismes de bienfaisance au Canada. Ces entreprises effectuent un travail considérable en ajoutant des informations provenant d’autres sources afin de compenser la qualité et le manque de données et de permettre une meilleure compréhension du secteur. Un participant a indiqué que « ce serait un défi considérable » si son organisation ne disposait pas d’un employé ayant les compétences nécessaires pour interpréter et analyser les données, car cela l’obligerait à « utiliser des tableaux disponibles sur le Web, qui sont vraiment peu pratiques et difficiles à utiliser ». Dans l’ensemble, le recours aux données du formulaire T3010 pour dégager les tendances du financement philanthropique, évaluer l’impact des politiques ou aborder des questions sectorielles telles que l’équité et la diversité est complexe et requiert beaucoup de ressources. Les personnes interrogées ont souligné les efforts considérables nécessaires pour épurer, organiser et manipuler les données afin de les rendre utilisables à des fins de recherche ou de stratégie. Cette forte dépendance envers les ressources nous aide à soulever d’importantes questions sur qui devrait ultimement assumer la responsabilité de garantir l’accessibilité et l’exploitabilité des données du secteur. Les entretiens menés par notre équipe l’ont clairement montré : les personnes et les organisations souhaitent ardemment être en mesure de prendre des décisions plus efficaces et plus stratégiques en matière d’octroi de subventions. Les organisations souhaitent disposer de données de meilleure qualité et plus cohérentes. Certaines utilisent même des données accessibles au public (T3010) et créent individuellement des données d’octroi de subventions améliorées et utilisables pour étayer leurs propres stratégies d’octroi de subventions. Citons par exemple un rapport publié par Environment Funders Canada (en anglais), le rapport de la Fondation Definity Assurance (en anglais), et le rapport Non financé, qui mettent en évidence tous les efforts et investissements déployés pour comprendre les tendances et les défis à l’intérieur du champ d’action restreint d’une organisation individuelle. Dans de tels cas, les données sont utilisées et interprétées pour des causes précises plutôt que pour améliorer la qualité des données pour l’ensemble du secteur. Ces rapports s’accompagnent également de nombreuses mises en garde, compte tenu des problèmes que posent les données sur le secteur provenant des déclarations T3010 et de Statistique Canada. Malgré l’investissement nécessaire, les personnes interrogées reconnaissent l’importance des données pour la prise de décisions stratégiques. Par exemple, les données sectorielles devraient éclairer les décisions concernant les choix de financement philanthropique ou les décisions de politiques au niveau sectoriel afin d’améliorer la nature stratégique et l’efficacité de l’octroi de subventions. Une bonne compréhension des flux de financement en matière d’octroi de subventions dans le but précis d’améliorer les critères d’équité permettrait de mieux saisir le caractère équitable de la distribution des fonds et de repérer les domaines qui nécessitent un soutien supplémentaire. En outre, bon nombre des solutions de contournement utilisées par les organisations individuelles pour la gestion des données requièrent une certaine capacité financière, de sorte que l’utilisation des données devient une question d’équité. Les personnes interrogées ont noté que les données disponibles ne permettent pas de connaître et d’interpréter l’impact des choix de financement sur la justice, l’équité et la diversité, ce qui crée un « angle mort » dans les données sectorielles. Les participants ont également mentionné le contingent des versements comme un exemple clé des déficiences des données actuelles en ce qui concerne leur capacité à éclairer les décisions en matière de politiques et à en mesurer l’impact. Les limites des données empêchent de pleinement saisir l’impact de ces changements sur les fondationsvi. Regard vers l’avenir Notre projet consistait à mener une étude de portée qui visait à produire un aperçu de l’effet de l’accès aux données sur les subventions philanthropiques et de leur interprétation sur le secteur aujourd’hui ainsi qu’à identifier les domaines à approfondir – dans ce cas précis, nous avons réussi. Au cours du projet, l’équipe a relevé certains domaines d’intérêt particulier pour de futures recherches. Rôles des provinces dans la production de données Le rôle des gouvernements provinciaux et territoriaux dans la production de données a souvent été oublié dans les discussions sur les données sectorielles. Trois participants ont fait remarquer que, étant donné que les organisations à but non lucratif sont exclues des critères de collecte de données par l’ARC, il y aurait une possibilité de recueillir des données au palier provincial afin de les inclure. Bien que l’exclusion des organisations à but non lucratif dans les discussions sur la collecte de données sectorielles soit évoquée à plusieurs reprises dans la littérature, de même que d’autres lacunes en matière de données, l’attention et l’intérêt semblent se porter sur le gouvernement fédéral plutôt que sur les gouvernements provinciauxvii. Ces observations laissent à penser que le rôle des provinces dans la production et la gestion des données sectorielles pourrait mériter une plus grande attention. Explorer des modèles ailleurs dans le monde Les réponses des participants à l’entretien ne comportaient que peu d’informations ou n’exprimaient qu’un intérêt limité pour les pratiques d’autres gouvernements en matière de données. L’un d’entre eux a parfaitement résumé la situation en ce qui concerne les données dans ce domaine : « ce qu’il faut faire, c’est aller sur le terrain et les construire ». Cette constatation témoigne du potentiel de transformation d’une approche stratégique unifiée des données relatives à l’octroi de subventions où l’équité, la collaboration et l’impact sont au cœur de la démarche. La collaboration est apparue comme un thème clé tant dans les entretiens que dans la littérature, parallèlement à un fort désir d’obtenir de meilleures données pour guider les décisions. Des exemples internationaux, tels que le projet Tracking the Field Project de l’Environmental Grantmakers Association des États-Unis et l’initiative 360Giving du Royaume-Uni, montrent comment les préoccupations en matière de justice, d’équité et d’inclusion ont permis d’améliorer la collecte et l’accessibilité des donnéesviiiix. Notamment, la norme de données volontaire de 360Giving est née de la demande de l’ensemble du secteur pour des données exploitables afin d’éclairer les décisions stratégiques en matière de financement et de politiques, faisant écho à des volontés similaires au Canada. Ces exemples de collaboration et d’innovation soulignent les possibilités pour le Canada d’explorer la production, les normes et le partage de données afin de renforcer son secteur philanthropique. Apprentissage automatique Il est à noter qu’une seule personne interrogée a parlé de l’intelligence artificielle (IA) ou des outils d’apprentissage automatique comme moyen de réduire la charge de travail du secteur lorsqu’il s’agit de gérer et de travailler avec des données. Étant donné l’attention que l’apprentissage automatique, l’IA et les modèles de langage reçoivent à l’échelle mondiale, il est surprenant que le soutien de l’IA n’ait pas été mentionné par les personnes interrogées ou dans la littérature comme une option permettant de réduire la charge de travail liée à la gestion, à l’épuration ou à l’interprétation des données du secteur. Conclusion Les participants se sont montrés optimistes quant à la capacité du secteur à innover, soulignant que le progrès ne réside pas seulement dans la collecte de plus de données, mais aussi dans l’utilisation des ressources existantes et dans une meilleure collaboration. Les pistes de recherche futures dans ce domaine sont nombreuses. Les défis liés à la collecte et à l’interprétation des données ainsi qu’à l’accès aux données sont présents à différentes échelles, que ce soit au niveau macro, méso ou micro. Cependant, l’utilisation des données à chacun de ces niveaux permettra de mieux comprendre les interventions ciblées. Les limites des données contenues dans le formulaire T3010 de l’ARC posent des problèmes aux parties prenantes. Ces défis sont importants et font ressortir la nécessité d’améliorations systémiques dans la manière dont les données sont collectées, gérées et utilisées dans le secteur philanthropique. Les participants ont formulé des recommandations pour améliorer l’accès aux données et leur interprétation. Ces recommandations comprennent la transmission électronique obligatoire de la déclaration T3010, la création d’une unité de données sur les organismes à but non lucratif à Statistique Canada, la publication plus rapide des données et l’amélioration du suivi des flux de financement. Ces recommandations s’alignent sur la demande plus générale de collaboration et d’innovation au sein du secteur, qui prévaut dans les pratiques internationales et provinciales. Des données accessibles et de qualité sur les subventions sont essentielles pour permettre aux philanthropes de prendre des décisions éclairées et de mener des initiatives axées sur l’équité. Comme l’a fait remarquer un participant, « si l’on veut faire de grandes différences dans ce domaine, il faut aller sur le terrain et les construire ». Ce constat illustre le potentiel de transformation d’une approche stratégique unifiée des données sur l’octroi de subventions, où l’équité, la collaboration et l’impact sont au cœur des préoccupations. Share This Article Facebook Twitter LinkedIn Email
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